Pâtisserie sous Influence – interview de Pierre Hermé 

Lâ??influence en pâtisserie réduite aux seuls influenceurs ? Câ??est un tort !
Pour ce premier article dédié à ce sujet, jâ??ai choisi dâ??échanger avec lâ??une des personnalités les plus influentes du milieu de la pâtisserie.
Pierre Hermé, chef pâtissier, créateur de sa propre maison, vice président des Relais Desserts, auteur de plus dâ??une quarantaine de livres et désormais Président de la Coupe du Monde de Pâtisserie, répond à mes questions.

Quelle est votre définition de lâ??influence ?

Lâ??influence nâ??est pas quelque chose que lâ??on décide dâ??avoir ou que lâ??on décrète ; lâ??influence nâ??est pas même quelque chose de conscient. 
Lorsque lâ??on est pâtissier, ce sont les autres qui donnent légitimité et influence à notre travail. Dans les faits, lâ??influence dépend essentiellement des autres, du crédit quâ??ils nous accordent. Au quotidien, lâ??influence sâ??exerce dans le travail de chacun et non pas dans le rapport des gens entre eux. Câ??est un point essentiel que je cultive et partage avec mes confrères.

Vous rendez vous compte de lâ??influence tutélaire que vous exercez sur vos confrères ?

Je mâ??aperçois parfois que tel travail ou tel accord de saveurs semble avoir influencé untel ou untel. Dans ces situations, là, je ne peux que constater une certaine influence. Câ??est un plaisir.
Lâ??échange et le partage sont lâ??essence même de notre métier de pâtissier. La fraternité et la bienveillance sont dans les gènes des pâtissiers. Les gens qui ne travaillent pas forcément dans ce milieu lâ??ignorent, mais nous communiquons beaucoup les uns les autres. Tous les jours jâ??ai des échanges avec dâ??autres chefs. Jâ??aime et je fonctionne ainsi dans de ma Maison comme au sein de lâ??association des Relais Desserts ou à lâ??extérieur.
L’année dernière lors le festival Artâ??é Gustu que nous organisons en Corse avec mon épouse, nous avons créé un dessert à 4 mains avec Cédric Grolet Cette année nous le ferons avec Yann Couvreur. Ce genre de challenge permet à chacun dâ??exprimer ses goûts et son savoir faire.
Nâ??oublions pas que lâ??on est jamais grand tout seul.

Parlez nous de lâ??Ispahan, ce dessert entré au Panthéon de la pâtisserie française qui en inspire plus dâ??un

La véritable histoire de ce gâteau commence en 1985. Nous sommes chez Fauchon. Le dessert sâ??appelle alors le Paradis. Il est construit autour de la framboise et de la rose que jâ??ai découverte lors dâ??un voyage en Bulgarie. Il rencontre un succèsâ?¦ mitigé – sourire
En 1997 je décide de le transformer en le rendant plus consistant, avec des contrastes de textures plus importants. Jâ??y ajoute du litchi car entre temps jâ??avais découvert quâ??il possédait des parfums de rose. Convaincu que ce gâteau était très bon, jâ??ai suivi mon idée : persévérer pour proposer le goût de la rose. 
Le succès est arrivé dans les années 2000

Aujourdâ??hui, je suis ravi lorsque je découvre des créations inspirées par ces accords et signées de grands chefs comme Paul Pairet, ou Alberto Adria. Câ??est gratifiant, intéressant et disons le franchement, câ??est aussi un formidable booster pour se motiver à en trouver dâ??autres.
Ã?a ne sâ??arrête jamais – sourire.

En septembre dernier, vous êtes nommé Président de la Coupe du Monde de la pâtisserie, quelle influence, quel souffle souhaitez-vous apporter au concours ?

Je me suis naturellement posé cette question avant dâ??accepter. Jâ??ai expliqué au comité international que ma principale motivation était le métier. Je souhaite lui rendre ce quâ??il mâ??a donné. Dans lâ??artisanat il est un temps où lâ??on est capable et où lâ??on a le devoir de transmettre, de former les autres. Je  suis aujourdâ??hui dans cette phase. Ce nâ??est pas un choix mais la seule façon dâ??assurer lâ??avenir de notre métier.
Les anciens redonnent ce que dâ??autres leurs ont appris. De leur côté les jeunes générations reçoivent et apportent leur propre talent, leur sensibilité, leurs intuitions. Le métier a toujours avancé ainsi. 

Mon second objectif ? Ancrer le concours dans le 21ème siècle. Une ère où la pâtisserie sâ??allège, se végétalise, sâ??adapte aux intolérances alimentairesâ?¦ sâ??offre à chacun.

La recherche de nouveauté semble voir beaucoup dâ??emprise sur votre travail. Sur quoi travaillez vous en ce moment ?

Jâ??aime et aimerais toujours créer et travailler sur de nouvelles saveurs, de nouveaux accords. 
Mon actuelle collaboration avec la Maison du Chocolat peut surprendre. Premièrement parce que nos maisons sont quelque part concurrentes ; secondo car on ne mâ??attendait pas, moi le premier, sur du vegan. La rencontre, lâ??échange et travail avec le Chef Nicolas Cloiseau mâ??ont beaucoup intéressé et disons-le, inspiré. De tout cela est née lâ??idée des gâteaux vegan en boutique depuis quelques jours.

Nous travaillons aussi sur des macarons sans gluten. Les consommateurs nous challengent sur ce sujet. Aujourdâ??hui tout le monde est capable de réaliser 30 ou 40 macarons vegan. A grande échelle câ??est autre chose. Peu le savent mais la matière de base nâ??existe pas encore en grande quantité. 

La gourmandise raisonnée initiée en 2005 par Frédéric Bau de lâ??école Valrhona est un autre de ces thème. Lâ??idée : moins de sucre, moins de gras associés à une réflexion sur lâ??apport nutritionnel des desserts. Le résultat ? Une réduction calorique dâ??environ 30% par rapport à la pâtisserie classique sans altération de goût. Jâ??ai commencé à mâ?? intéresser au sujet lorsque Frédéric, après mâ??avoir demandé lâ??autorisation de travailler autour de lâ??infinement Vanille, mâ??en a fait déguster sa propre version à lâ??aveugle.
Jâ??ai eu du mal à différencier ma recette classique de la sienne. Un déclic.
Ce printemps vous pourrez ainsi découvrir deux recettes classiques de la maison re-visitées et deux nouvelles créations en Gourmandise raisonnée. 

A lâ??automne prochain, vous pourrez également découvrir une collaboration avec Toraya. Nous rentrons là dans lâ??univers de la patisserie japonaise. 

Tous ces nouveaux territoires, la remise en cause des idées et des pratiques, me passionnent. Ils me font avancer et intéressent également beaucoup les jeunes chefs. »

fleur de cassis – l’un des deux desserts vegan de Pierre Hermé pour la Maison du Chocolat
La pâtisserie telle que nous la connaissons ne risque t-elle pas de perdre de son ascendance ?

Difficile de détrôner la pâte feuilletée beurrée très croustillante, à mon humble avis – sourire.
Je nâ??ai malheureusement pas de réponse certaine. Je pense que les deux approches vivront ensemble. Elles co-existeront. Ce qui ne veut pas dire que nous ne mangerons plus de protéines animales ni de gluten. Nous consommerons « Ã  la carte Â» en fonction du régime de chacun.
Si le consommateur est plus attentif Ã  son alimentation que par le passé, notre métier doit proposer les réponses à ses désirs.  
Je nâ??aurais pas parlé comme cela il y a dix ans – sourire.

Pensez vous que le métier, soit comme certains lâ??affirment, influencé par certains lobby ?

Si vous pensez lobby du sucre, du cacao. Forcément on est influencés et en même temps, chacun est libre de se laisser influencer ou pas.

Les journalistes sont-ils toujours les principaux leaders dâ??opinion en matière de gastronomie ?

Le monde évolue. Le papier, la télé, la radio se partagent désormais le paysage avec les réseaux sociaux. En tant que Maison, nous nous devons dâ??apprendre à communiquer avec les uns comme avec les autres et répondre à leurs questions qui ne sont en fait que celles que se posent leurs lecteurs. 
Mieux nous saurons travailler avec chacun, plus notre communication sera efficace.
Quoi quâ??il en soit, avec les uns ou les autres, je privilégie toujours la notoriété à la célébrité. Jâ??accorde plus dâ??importance au travail de fond quâ??aux coups dâ??éclat.

La Maison Pierre Hermé nâ??est elle pas elle même un type dâ??influenceur ?

Nous communiquons beaucoup câ??est vrai. Mais peut-on pour autant nous définir comme influenceurs ? Câ??est une bonne question. – sourire. Oui en quelque sorte mais ce nâ??est pas le fond du problème. Lâ??important pour nous est de proposer, de faire connaitre nos produits et nos services à nos clients.

D’autres interviews sont à venir sur ce sujet, alors continuez à nous suivre…

Crédits photos, Laurent Fau et Stéphane de Bourgies

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