Du saumon à l’esturgeon, la difficile migration du no-kill

L’expression nous vient des Etats Unis. Le no-kill, littéralement « ne pas tuer » concerne à la pêche et aux poissons. Ses praticiens se contraignent à la remise à l’eau systématique de leurs proies. Exercé, entre autres, par le chef triplement étoilé Christopher Coutanceau, le no-kill  trouve plusieurs justifications… bien entendu discutables : 

  • le respect des ressources halieutiques (pêche)
  • le développement de la pêche sportive sans réduction des populations piscicoles
  • la protection sanitaire des populations humaines dans les zones où les eaux sont polluées.

Les salmonidés de la région des grands lacs (saumons, ombles, ombres, corégones et autres truites) furent les premiers graciés du no-kill. Des Etats-Unis au reste du monde il n’y a qu’un …coup de nageoires, ou presque.

Des lacs, océans, rivières aux raceway et étangs français des fermes d’esturgeons, le no-kill tente sa migration dans le domaine du caviar.

Qu’en est-il exactement ? Après maintes recherches et palabres avec Laurent Dulau, directeur général de la société Sturgeon, président de l’Association Caviar d’Aquitaine et de l’ARIA Nouvelle Aquitaine voici ce qu’il en émerge.

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le no-kill est-il pratiqué dans les fermes d’esturgeons ?

Le monde du caviar, il y a environ 180 producteurs de par le monde, l’étudie. Certains le tentent ; les autres font des tests… Malheureusement ou certains, heureusement pour d’autres, nous n’y sommes pas encore. Quoi qu’il en soit le sujet intéresse l’ensemble du milieu, ceci pour des raisons à la fois éthiques et économiques.

sur l’aspect éthique, il s’agit de ne plus tuer, mais quels avantages quant à l’aspect économique des choses ?

En premier lieu, il n’est plus nécessaire d’attendre, la maturité de la femelle, entre sept et quatorze ans, pour obtenir les précieux oeufs. Deux ou trois années suffisent. 

Seconde raison, le no-kill suppose qu’un esturgeon puisse produire du caviar plusieurs fois au cours de son existence. Le no-kill permettrait donc de baisser le coût de production et donc de vente.

quelles différences techniques entre le caviar classique et le caviar no-kill ?

Le caviar tel qu’on le produit traditionnellement est issu d’oeufs d’esturgeons non ovulés (non descendus et non pondus) et non fécondés. Les femelles esturgeons arrivées naturellement à maturité, à 7 ou 8 ans, voir plus selon les espèces, sont sorties définitivement des bassins, assommées et tuées avec précaution. Les oeufs sont alors prélevés.
Pour le no-kill, le caviar est ovulé. Il y a donc processus de ponte avec descente des oeufs. Pour cela des hormones sont injectées jusqu’à deux jours avant la production. On récupère les oeufs « prêts à pondre » en massant l’abdomen du poisson pour les extraire ou on pratique une petite césarienne avec le protocole et les conséquences d’une telle opération sur l’animal. Dans ce cas l’animal doit être traité pour y survivre. 

le caviar no-kill est-il sur le marché ?

Certains en vendent. Néanmoins au sein de l’Association Caviar d’ Aquitaine, le point de vue est clair. Les producteurs ne le considère pas comme éthique. Si l’idée est, intéressante et louable, la technique, à date, comporte de trop de contre-parties à leurs yeux.

quelles contre-parties au no-kill ?

Techniques, sanitaires, éthiques et qualitatives. 

Comme évoqué plus haut, le ’No kill? et les injections d’hormones, sont pratiqués jusqu’à très tard sur le poisson. Les hormones n’ont pas le temps de se résorber avant consommation par l’homme et les éventuelles conséquences sur la santé humaine sont peu connues. Si l’idée de pratiquer une césarienne est certes louable, elle induit un protocole bien particulier :  injection d’anesthésique, opération, sutures et souvent suivie de prise d’antibiotiques pour éviter les infections. Les effets sur le poisson sont assez bien maîtrisés, mais une fois de plus à ce stade, le recul est insuffisant pour en mesurer de façon fiable les éventuels effets sur l’homme.  

les recherches continuent-elles malgré tout ?

Oui. Certains essais semblent avoir été menés dans le sud est de la France. Une méthode, cette fois-ci sans injection d’hormones, et donc sans ovulation. Il s’agirait d’une césarienne pratiquée tout le long de la cavité abdominale, identique à l’incision pratiquée dans la méthode de production du caviar traditionnel. L’ovulation n’ayant pas été atteinte, les ?ufs sont encore accrochés à leur poche, la gonade. Or pour recevoir de nouveaux ?ufs, cette dernière doit impérativement rester en place et saine. Une intervention chirurgicale sur animal vivant plus lourde que la première, et bien entendu, plus à risque pour l’animal… La méthode semble là encore compliquée.

les oeufs sont ils les mêmes au sortir du poisson ? 

Malheureusement non et tout le monde, producteurs et goûteurs, s’accordent sur ce fait. Les ?ufs tout juste récoltés dans le cadre du no-kill sont recouverts d’une substance visqueuse sécrétée sous l’effet des hormones. Il s’agit de gangue. Une sorte de colle naturelle qui demande un nettoyage avec utilisation de bains chimiques. 

Côté gustatif l’impact est réel. Le produit est caoutchouteux, loin de la qualité du caviar traditionnel. Le ’No kill? a également une influence négative sur la qualité des pontes suivantes. L’idéal serait de pouvoir extraire les oeufs sans opération, sans ouvrir le poisson. Mais malheureusement, à date, cela semble impossible. L’esturgeon ne pond pas naturellement en milieu domestique. 

La méthode actuellement employée semble donc la meilleure pour le produit, le meilleure pour le poisson et meilleure pour l’homme. 

comment distinguer le no-kill du traditionnel quand on est consommateur ? 

Certains semblent surfer sur les tendances avec agilité, à la limite du légal. On voit le ’No kill? se qualifier d’« éthique » ou de « durable », de ’cruelty-free caviar?, de ’caviar par massage?. En France la réglementation sur l’étiquetage est stricte. Elle impose l’appellation ’caviar d’oeufs ovulés?. Le consommateur est donc mieux protégé et achète en connaissance de cause.

quelles solutions en matière de bien-être animal et d’éthique de production ?

Chaque producteur peut agir sur la concentration des esturgeons par bassin, la qualité des eaux, l’alimentation, protocoles médicaux et bien entendu des méthodes d’abattage. Chez Sturia, Laurent Dulau nous explique qu’ils se sont engagés à réduire la densité de poissons à 2 kg/m3. Ses pensionnaires, nagent dans de l’eau de source et sont nourris avec des aliments sans antibiotiques ni hormones. Les eaux y sont naturelles et filtrées avant d’être rejetées en milieu naturel.

’Nous n’exerçons pas de pression sur la masse sauvage dans la mesure car nous sommes présents de l’?uf à l’?uf. Nous renouvelons toutes nos générations dans notre écloserie. Enfin nous tentons de valoriser la totalité de nos poissons, de la chair à la peau, (pour le cuir) en passant par l’isinglass (colle naturelle utilisée pour restaurer les ?uvres d’art et instruments de musique)… ’En 2013 les producteurs d’Aquitaine ont créé une association destinée à valoriser notre caviar et la façon dont nous le produisons. Nous avons travaillé au dépôt d’une IGP Caviar d’Aquitaine actuellement en cours d’étude. Nous garantissons ainsi l’origine, des pratiques de production éco-responsables.?

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